Afin de faire vivre les AMIS-MOTS de façon moins astreignante que la "troupe" des marionnettes ou des comédiens,
quoi de mieux qu'une personne - et une seule- qui conte, qui raconte des histoires de grammaire.

Ainsi sont nés les GRAMMATICONTES.
Et vous vous doutez bien que les élèves à qui ces histoires ont été lues par leur professeur de français s'en souviennent encore...

En voici 3 : 

1- La naissance des ...affreumots

2- La guerre du A

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Suivez la pente ...

La naissance des ...affreumots (partie 1)

 Il était une fois, une vilaine sorcière qui vivait au fond d’une sombre forêt. Sa maison était toute grise, comme ses cheveux. Le toit était tout rouge comme son visage lorsqu’elle se mettait en colère. 
Parfois la cheminée fumait, mais on n’entendait jamais de rires ni de chansons dans cette maison : la sorcière était toute triste.
Les gens du village voisin ne l’aimaient pas beaucoup. Ils avaient peur d’elle. Ils disaient même qu’elle portait malheur et invoquait le Mal. 
On disait même qu’elle changeait les hommes en animaux et les animaux en bêtes (Elle s’adresse à un lièvre) Abracabi abracaba, la misère apporteras Abracabi abracabo tu deviendras un escargot tout chaud.
Un jour, alors qu’elle lisait un vieux livre plein de formules magiques (un grimoire), elle se mit à rire très fort : hahaha ! Ce manuscrit va me servir à faire davantage de mal encore. 
Je vois ici une recette pour transformer les brunes en blondes. Je vais de ce pas me mettre au travail.
Et elle alla dans les champs ramasser des feuilles de noyer, des feuilles de pruniers, des tiges de blé et des orties en larges brassées Ouille, ça pique !
Elle retourna dans sa maison toute grise, alluma un grand feu avec des bûches de chêne dans son cantou. Elle remplit un grand chaudron d’eau et de terre, et hop, mit tout ça sur le feu.
Aussitôt, les flammes crépitèrent et le chaudron tout noir se mit à frémir, devenu sang et rouge comme les braises.
Puis, la vilaine sorcière y jeta ses feuilles de noyer, ses feuilles de pruniers, ses tiges de blé et ses orties en larges brassées. Ouille, ça pique !
Après quelques minutes, elle touilla, elle touilla. Le chaudron faisait bloub bloub. Soudain elle s’arrêta ; se gratta la tête et le menton, puis le dessus du crâne et son poil au menton et se dit : 
Est-ce qu’il faut rajouter du sel ?… Voyons voyons. Elle prit de nouveau le grimoire, slurp slurp, le feuilleta pour retrouver sa recette… 
Voilà. Alors, des feuilles de noyer, des feuilles de pruniers, des tiges de blé et des orties en larges brassées Ouille, ça pique ! Pas de sel…
C’est alors que pour une raison que j’ignore, le vieux grimoire magique lui échappa des mains, se referma d’un seul coup PAF sur son nez, OUILLE, et tomba d’un seul coup PLOUF dans le chaudron !
Misère, catastrophe, cria la sorcière qui se mit, désespérément, avec une passoire, à essayer de récupérer son livre dans le potage ! Houf Houf, ça brûle ! Aïe aïe aïe, c’est trop chaud.
Et il fallut bien attendre vingt minutes que cette baccade refroidisse pour qu’elle puisse retirer du chaudron, ce vieux grimoire tout dégoulinant Beurk !
Sans plus attendre, et en maudissant celui ou celle qui lui avait fait faire cette bêtise, elle alla dans son jardin, étendre sur un fil à linge, le vieux grimoire tout trempé.

(partie 2)

 A peine était-elle sortie que le chaudron qui était encore tout tiède, à cause des dernières braises qui luisaient dans la cheminée, se mit soudain à … bouger ! Mais oui, à bouger.

Aussi bizarre que cela puisse paraître, il y avait du monde à l’intérieur.

Mais qui cela peut-il bien être ?

Tout d’abord, on aperçut une casquette deux yeux puis une paire de moustaches.

Où …Où sommes-nous ? Demanda inquiet ce bonhomme en maillot blanc et pantalon noir avec aux pieds, de jolies charentaises ?
Je ne sais pas lui répondit, à l’intérieur du chaudron, une petite voix toute effrayée. Et à son tour, on vit apparaître deux grands yeux et… et une grosse main toute blanche recouverte d’un gant.
Enfin, quand je dis toute blanche, je devrais dire toute grise car la suie de la cheminée, et la potion de la vilaine sorcière avaient vraiment taché ses quatre doigts.

-          Regarde moi ça, NOM COMMUN fit-il en pleurnichant. J’ai l’impression d’avoir passé la nuit dans une étable. Je n’ai jamais été aussi dégoûtant !

-          Tu as raison LELALES, répondit NOM COMMUN. Moi, c’est la même chose. Je me sens aussi crasseux que si j’avais passé la nuit avec des cochons dans la boue.
Et puis SNIF SNIF –se renifla le bras NOM COMMUN – on sent vraiment mauvais. Qu s’est-il passé ?

-          LELALES, NOM COMMUN, où êtes-vous ?

Au fond du chaudron, une troisième voix se faisait entendre !

-          Et bien les amis ! Que se passe-t-il ici ?

-          Viens vite voir ça, ADJI ! Tu n’en croiras pas tes yeux ! dit NOM COMMUN

-          Là, ADJI, c’est sûr, cela vaut le coup d’œil ! Si c’est un appart à louer, je ne suis pas preneur ! Un vrai taudis.

Et du chaudron, apparut soudain une casquette… Mais cette fois, une casquette à l’envers sur la tête, un visage plein de tâches de rousseurs avec une jolie mèche blonde…
Enfin, une mèche un peu mouillée et crasseuse elle aussi.

-          Ziva les copains dit Adji avec un fort accent de banlieue. C’est ouf comme c’est crado ici ! la parole à ma REUM ! j’ai jamais vu AS (= ça en verlant ...)

-           Tu l’as dit ADJI ! Cela nous change des jolies pages du grimoire dans lequel nous vivons d’habitude ! Nous les articles, les noms communs et les adjectifs qualificatifs,
nous sommes bien trop importants pour vivre dans une chaumière aussi sale et dans un chaudron BAH aussi dégoûtant. Il faut faire quelque chose. Venez les amis, nous allons sortir de  ce vilain chaudron.

 Vous avez compris, les enfants ? LELALES, l’article, NOM COMMUN et ADJI l’adjectif qualificatif sortaient du grimoire, que la sorcière avait plongé dans chaudron…
En fait, sans le faire exprès, cette vilaine magicienne avait donné naissance… à des AFFREUMOTS. (à suivre...)

 

La Guerre du A

  
Avez-vous déjà entendu parler de la guerre du A ? Non ? Alors je vais vous la raconter.

Autrefois, Mamie Grammaire était encore toute jeune. Je ne sais pas moi, 98 ans je crois. Comment ! Vous ne savez pas que Mamie Grammaire était au départ une méchante sorcière !

Elle faisait le mal partout où elle passait. Jusqu’au jour où, par hasard, PLOUF ! En faisant tomber un vieux grimoire dans un chaudron, elle fit apparaître nos 9 petits Amis-Mots.
Elle les mit en esclavage pour les obliger à répandre le Mal, mais depuis, enfin surtout depuis qu’Adji lui mit un grand coup de boule pour lui remettre les idées en place, elle est devenue charmante.
Avec du poil au menton aussi, faut pas exagérer, et plus de dents non plus, d’accord, mais elle n’a plus qu’un seul but : aider les enfants à mieux comprendre la grammaire et le fonctionnement du langage.

Mais revenons à notre guerre du A !

A cette époque, chacun parlait comme il voulait : et du patois par ci, et de l’occitan par là, et du dialecte là-bas, du ch’ti au nord.
Bref, dès qu’on faisait dix kilomètres, à pied, bien sûr, car à l’époque, les transports ce n’était ni le TGV, ni le métro ni la toto.
Bref, enfin, à 10 kilomètres à la ronde, il y avait de fortes chances que les villageois ne parlent pas le même langage que vous :

«  Hé, qua veï ? ¿ Que dices ? Gardarem lou Larzac ? Ha ! »

Bref, il fallait mettre de l’ordre dans tout ça !

Mamie Grammaire décida donc, avec ses copains les Amis-Mots de faire une longue liste récapitulative des habitants. On appelle cela le recensement.

Et quoi de mieux pour faire un recensement que de regrouper tous ces gens par ordre alphabétique.

D’abord le A, ensuite le B, le C, etc. Vous connaissez l’alphabet ?

Ainsi, tous les mots bien rangés dans leur liste, vivaient paisiblement, attendant que quelqu’un vienne les visiter, en feuilletant tranquillement les pages.
Au fait, vous savez comment se nomme ce gros livre où sont rangés les mots par ordre alphabétique ? Un... Un dictionnaire, bien sûr !

Seulement voilà ! Plus Mamie et ses Amis rencontraient de monde, et plus les pages de ces gros dictionnaires grossissaient, grossissaient.

Si bien qu’un jour, il fallut un dictionnaire, puis deux, puis trois, quatre et comme ça ne suffisait toujours pas, il fallut installer les mots dans des livres beaucoup plus gros : des dictionnaires encyclopédiques.
Un peu comme des HLM dan la cité, quoi ! Et toujours par ordre alphabétique : D’abord le A, ensuite le B, le C, etc. Vous connaissez l’alphabet ?

Tout allait bien, jusqu’au jour où une espèce de gros monstre du volume A fit des histoires. Vous ne voyez pas de qui je veux parler ? Un gros lézard tout vert qui commence par A donc, un crocodile.

Un A…lligator. Mais oui, un alligator.

Ce gros saurien de la famille des dinosaures vint un jour voir Mamie et lui dit :

-          Dis donc ? Mamie, sans doute n’as-tu pas remarqué, mais dans les pages de tes dictionnaires, certains mots, après le A de départ ont deux consonnes identiques et d’autres non !

-          Ainsi, moi, Alligator, je prends deux L. Comment cela se fait-il ?

Mamie, qui en fait n’avait rien remarqué du tout, se gratta la tête et le menton, le derrière du crâne et le poil au menton et trouva un prétexte, qu’elle prit sur le coup pour une excellente idée – si elle avait su - :

-          Heu… Bien sûr Alli –elle l’appelait comme cela – Bien sûr Alli. Je… je l’ai fait exprès ! J’ai mis en fait deux consonnes, heu … aux mots IMPORTANTS. Voilà, aux mots importants.

Comme tu es le roi des alligators, tu as deux L. Héhé. Bien joué !

-          Ah bon !

-          Oui ! D’ailleurs ne vois-tu pas –et là Mamie crut avoir une seconde super bonne idée – si elle avait su – ne vois-tu pas que cela marche pour tous les mots d’exception et cela
pour tous les volumes du dictionnaire. Ainsi bouddha le fondateur du bouddhisme prend deux D. Pareil pour le rabbin de la religion juive ou l’abbé de la religion chrétienne qui ont chacun deux B.
Que dire enfin du muezzin avec deux Z qui annonce la prière chez les musulmans ! Enfin, pour la religion protestante – Là, Mamie cale un peu –
Heu, leur pasteur lui ne prend que S et T, deux consonnes différentes, certes, mais … mais simplement car autrefois, le mot pâtre son ancêtre, possédait un accent circonflexe,
comme dans forêt, forestier. L’accent circonflexe a disparu, remplacé par le S. Hop, et voilà ! Cela te suffit comme explication ? Allez, maintenant laisse-moi car j’ai beaucoup de travail.

Oh, bien sûr que cela lui suffisait comme explication ! Un peu trop, même, car aussitôt, cela gambergea fort dans sa petite tête de crocodile :

Si je suis le roi des Alligators, aussi important qu’un bouddha, un abbé, un rabbin ou un muezzin, qu’est-ce que je fais au milieu de ces vauriens, de ces manants qui n’ont qu’une seule consonne ?
Je vaux mieux que cela.

Et aussitôt un plan diabolique s’échafauda dan sa petite tête : je veux être le Roi des Mots !

Et à partir de ce jour-là, il n’eut plus qu’une idée à l’esprit : renverser Mamie Grammaire pour prendre le pouvoir. D’abord dans le volume A, puis le B, le C, etc. Vous connaissez l’alphabet ?

Il réfléchit et se dit que seul, il ne pourrait rien faire. Il lui fallait des complices ; mieux : une armée, une armée entière de mots avec simple ou double consonne, peu importe, mais une armée terrible,

capable de terrasser Mamie Grammaire et ses Amis-Mots, une troupe féroce capable de PRENDRE LE POUVOIR !!

Voilà pourquoi, mine de rien, en bon crocodile qu’il était, allongé au soleil, il s’adressait à ses voisins du volume A :

-          Bonjour APPLAUDIR, avec 2 P

-          Bonjour Alli

-          Dis-moi, cela te dirait de former une … hum hum… Une équipe ?

-          Une équipe de foot ? Qu’on pourrait applaudir ? Là ça me va !

-          C’est d’accord, tu seras l’entraîneur ! dit Alli en pensant tout bas : qu’il est bête. Il sera toujours temps de lui dire la vérité plus tard.

Il se rendit ensuite chez d’autres mots qui, méfiants comme acompte ou l’adjectif acerbe, tous deux avec un seul C, refusèrent tout compromis. « Nous on marche que si tu payes d’avance ! »

D’autres, à l’inverse, comme accord avec deux C et alliance avec deux L ne firent pas de manière : « Pourquoi pas, on s’ennuie dans ce dico ! »
Un troisième groupe enfin, comme le jeune acné et le grand sportif apnée, intrigués par sa démarche, ne dirent pas non !

Et voilà, au bout de quelques jours, et dans la discrétion la plus complète, notre Alli à la tête d’une armée de 15 à 20 mots du volume A prêts à le suivre, dont certains, franchement, n’avaient rien
à faire ici comme alibi avec un seul L, ou bien encore a fortiori, deux vieux croûtons datant de l’époque latine. Ah il fallait les voir, avec leur canne et leur appareil auditif – appareil avec deux p –
demander à tout bout de champ : « Qu’est-ce qu’y dit ? j’entends pas ».

Ah elle était belle, l’armée d’Alli ; des mots à simple consonne après le A, comme les verbes aplanir, aplatir apercevoir et tiens… le verbe apeurer… Lui aussi ! Ce trouillard ! Je n’aurais pas cru !

Les adjectifs acariâtre et abject. M’étonne pas, ces deux-là sont vraiment de sales types ! Ils portent bien leur nom ! Et enfin du lourd, du très lourd : la crème des voyous
comme apocalypse acajou et acacia, des gars dont on ne savait même pas d’où ils venaient, connus dans le dictionnaire pour leur éternelle  mauvaise humeur.

Oh mais qui je vois là, avec un seul B après le A ! Abri. Abri qui d’ordinaire reste couvert et bien au chaud. Lui aussi trahit Mamie ! Quelle déchéance !

Parallèlement à cela, une flopée de mots à double consonnes après le A, dont franchement je ne vois pas bien leur intérêt à mettre ALLI, ce traître sur un piédestal.
Tout le monde devait bien se rendre compte que si, par hasard, il arrivait à renverser Mamie, et à prendre le pouvoir à sa place, ce serait la tyrannie, la ploutocratie, l’oligarchie ...
La alligator..archie ! Il y avait là outre applaudir, accord et alliance dont j’ai déjà parlé, des adjectifs qualificatifs  pourtant raisonnables comme accueillant et acceptable.

Et enfin, les amis, je le garde pour la fin, le clou de cette armée de bras cassés, de mercenaires pas ordinaires, un animal commençant par un A bien sûr, avec de grandes oreilles et qui fait Hihan !

Vous avez deviné, l’âne. L’âne Isidore qui lui aussi, tout bêtement voulait participer à cette conspiration.

-          Silence La séance commence !  -Là c’est Alli qui parle - Chers amis, nous sommes réunis ce soir pour réclamer à Mamie Grammaire plus d’espace dans notre dictionnaire !

N’en avez-vous pas assez d’être coincés comme ça, par ordre alphabétique, systématique et mécanique dans un petit réduit où tout le monde peut y lire votre vie privée ? Hum ?

-          Il a raison ; c’est vrai  clamèrent abject et acariâtre, histoire de mettre de l’ambiance. Quand je vous disais que ce sont deux voyous !

-          Oui, il a raison !

Tiens, acolyte avec un seul C est là ! Normal, vu le nom qu’il porte, il essaie toujours de prendre le pouvoir lui aussi !

-          Que proposes-tu demanda apocalypse lorsque la foule fit silence.

-          Là tout le monde la boucla car tout le monde le craignait, apocalypse, tant on savait ce que par le passé, il avait fait subir à la terre entière…

La réponse fut nette et explicite :

-          Que nous renversions Mamie Grammaire et ses satanés Amis-Mots, que nous prenions le pouvoir à leur place et que je devienne votre nouveau roi : ALLIGATOR PREMIER !

-          Et qu’avons-nous à y gagner ?

Là, je n’ai pas bien vu qui avait parlé. Aplatir, peut-être, un verbe costaud qui lui aussi ne craint pas la bagarre. Une sacrée poigne !

La foule reprit : «  Oui, Notre intérêt ? … Qu’est-ce qu’on gagne ?... Hi han ! »

Ah les questions fusaient. Ce n’était pas pour Alli, le moment de rater la marche ! Mais apparemment, il avait bien préparé son coup, le croco !

-          Mes amis, chacun y trouvera de gros avantages. Je propose : Article 1 : tous les mots ayant une simple consonne derrière le A de départ auront … deux consonnes !

-          «  Ouaih ! Hourra ! Vive Alli ».

Là, avant même que l’idée ait fait son chemin dans l’esprit de tous ces chenapans, un conspirateur plus excité que les autres se mettait à hurler son bonheur. Vous ne devinez pas qui ? Hihan !
Mais oui, Isidore, l’âne qui primo ne savait pas que Anne avec deux N existe déjà, c’est le prénom de la maman de la sainte Vierge et secundo qu’on ne trouve jamais
deux consonnes derrière un accent circonflexe. Bref, personne à ce moment là ne réfléchit à cela et surtout pas l’âne. Sa joie fit en fait comme un électrochoc dans l’assemblée.
Ils étaient tous aux anges, ravis, tétanisés de bonheur. Tiens encore un peu et ils l’auraient vue, la sainte Vierge !

Quelle andouille songea Alli en regardant Isidore frétiller de la queue. Mais bon, grâce à lui, tout le monde est conquis. A moi le pouvoir !

Article 2 : Camarades, à tous ceux qui ont déjà deux consonnes identiques derrière le A – Allons bon, il ne va pas leur en proposer trois au moins !! – Vous deviendrez mes généraux – Ouf, j’aime mieux ça !-
et nous mettrons en esclavage les mots qui refuseront de nous rejoindre. Puis, nous partirons à la conquête des autres volumes du dictionnaire D’abord le B, ensuite le C, puis le D, etc.
Vous connaissez l’alphabet ?

Allons bon ! Voilà que le A ne leur suffit plus !

-          C’est la guerre dit Alli … La GUERRE DU A !

-          Bravo –firent tous les conspirateurs, alléchés -avec deux L- par ses propositions.

-          Hihan – fit l’âne.

Et tous, sans exception, ce qui confirme qu’ils étaient vraiment de vilains bougres, prêtèrent serment à Alli, lui promettant, dès que Mamie serait destituée, de le vénérer comme un Dieu,

le Dieu des crocodiles, comme le Génie des grosses bébêtes, enfin bref comme le Dieu vivant des pharaons : ALLIGATOR PREMIER.

Et ils retournèrent chacun sans se faire remarquer, dans sa page du volume A, en respectant bien le sommeil des autres mots qui dormaient paisiblement à cette heure avancée de la nuit.

 Le lendemain, Alli retourna voir Mamie Grammaire, laquelle, bien sûr, ne se doutait de rien. Ce fourbe avait mis au point un plan pour la mettre hors d’état de nuire, l’écarter de son chemin : la kidnapper !

-          Dis voir, Mamie, demain je fête mon anniversaire, avec deux N, avec des copains.

-          Oh, félicitations, Alli, quel âge as-tu ?

-          Heu, 43 ans !

-          43 ans et toutes tes dents, plaisanta Mamie. Et Dieu sait si un crocodile, ça en a des dents ! Elle ne se doutait de rien.

-          Et si vous veniez, toi et les Amis-Mots à ma fête reprit Alli, hypocrite. Puis il ajouta la larme à l’œil : « Je vous aime tellement ! ». Et Dieu sait qu’un crocodile ça pleure.

Des larmes de crocodile, bien sûr. Mamie ne se doutait de rien.

-          Hé bien d’accord, Alli. On viendra et je te porterai un gros gâteau dans mon sac. Là, Alli rigola un peu moins. Un sac en peau de crocodile, ce n’est pas ce qu’il préfère !

-          Entendu !

Et ils se mirent d’accord pour un rendez-vous d’anniversaire chez Abri, le copain d’Alli. Mamie ne se doutait toujours de rien. Ils prirent congé, partant chacun de son côté,

Mamie pour faire un bon vacherin à Alli, Alli pour faire une belle vacherie à Mamie !

Elle se rendit dans le volume A, chez l’article Lelales, où elle savait bien qu’elle trouverait là Nom Commun et Adji, puisque tous les trois sont inséparables ou presque :

le groupe nominal. En chemin, elle croisa une grosse bête, avec de grandes oreilles, qui mange des carottes et qui fait hihan. L’âne, bien sûr.

-          Oh bonjour Isidore dit Mamie. Comment vas-tu mon ami ?

-          Hihan. « Monsieur » Isidore, rectifia-t-il.

-          Hé bien bonjour, « Monsieur Isidore » comment vas-tu ? Rectifia Mamie Comment « allez-VOUS » rectifia l’âne.

-          Ah ça, dit Mamie, pour qui la patience n’est pas une qualité première. Qu’est-ce qui te prend ce matin ? Ta luzerne était trop grasse et tu as du mal à digérer ?

L’âne rua très fort en levant les pattes arrières en se sauvant : « Rira bien qui rira le dernier et quand j’en aurai deux, tu seras moins fière. A bon entendeur Hihan ! »

Mamie toute étonnée se gratta la tête et le menton, le derrière du crâne et le poil au menton, leva les yeux au ciel d’incompréhension et se rendit chez Lelales.

Elle allait, comme d’habitude, frapper à la porte, lorsque celle-ci s’ouvrit avant même qu’elle ait eu le temps d’heurter le poussoir ou pousser le heurtoir, peu importe. Lelales l’attendait –
là normal, il était chez lui, et Nom Commun et Adji. Bon normal, je vous ai expliqué. Mais là, oh surprise, tous les Amis-Mots étaient présents. Chantons Chantez, avec ses médailles, Je tu il le pronom,  
Si quand comme la conjonction de subordination. Bref : tout le monde ! Ils avaient l’air renfrogné, excepté beaucoup trop, l’adverbe, qui lui ne comprend jamais rien à ce qui se passe !

-          Mamie - interrogea Chantons Chantez sans même lui dire bonjour ; bizarre, cela ne lui ressemble pas – Tu es au courant ?

-          Au courant de quoi ?

-          Alli !

-          Ah, l’anniversaire d’Alli, bien sûr que je suis au courant. C’est justement à ce sujet que je viens vous voir. Pour préparer un bon gâteau. Nous sommes tous invités chez…

-          Abri.

-          Exactement, comment le sais-tu, fit Mamie surprise.

Sa surprise fut encore plus grande lorsqu’elle aperçut, juste derrière à de par pour sans la préposition qui montrait les dents, comme d’habitude, le nom commun Abri lui-même
qui visiblement
se sentait mal à l’aise.

-          Abri ! Que fais-tu là ?

-          Justement c’est au sujet d’Alli prit la parole Adji.

Et aussitôt les Amis-Mots mis au courant de la vilénie du crocodile par ce fidèle Abri qui tout compte fait n’était pas un traître, racontèrent à Mamie les doubles consonnes, la conspiration,
le serment et tout et tout.

-          Ainsi Alli veut la guerre, grommela Mamie une fois informée. Puis elle se mit à rire : Ah je comprends à présent ce que Isidore, cet âne bâté, voulait dire avec son « quand j’en aurai deux,

tu seras moins fière. » Il parlait des N derrière le A. J’aime mieux ça ! Puis elle changea de couleur : je vais leur en donner, moi, des doubles consonnes, des généraux de bazar
et de la guerre du A. Suivez-moi les enfants- fit-elle, en remerciant chaleureusement Abri pour sa bravoure et sa fidélité : Tu nous as sauvé la vie et je ne l’oublierai jamais !

-          Te suivre, Mamie, mais… Où ça ?

-          A l’anniversaire d’Alli, bien sûr !

-          Mais Mamie !!

-          T’inquiète Chantons Chantez. J’ai une surprise pour lui. Une grosse surprise.

-          A l’anniversaire d’Alli ! fit tout réjoui Beaucoup trop.  Une fête ? C’est génial ça !

Personne n’eut le courage de répondre à cet imbécile et encore moins d’essayer de lui expliquer la situation.

Le lendemain, chez Abri : beaucoup de monde ! Faut dire que c’était un grand Abri. Sur la table : quelques bouteilles, des verres pour donner le change et faire croire à un anniversaire.

Par contre, au plafond et sur les murs, pas un ballon, ni une décoration, ni même un calicot du style «  Bonne fête au croco » ou « vive Alli le roi des animaux » ni même bon Alliversaire.
Nulle la boum ! Ça sentait vraiment le traquenard.

Acariâtre et apercevoir faisaient le guet pendant qu’aplatir et apocalypse s’échauffaient en faisant des mouvements. Il allait y avoir de la baston, et ils aimaient ça !

Isidore, lui, faisait semblant de brouter, pas loin d’ici, en éclaireur. Bref, le comité d’accueil était là. Mamie risquait gros.

-          Les voilà- hurla soudain Isidore en surgissant dans la cour, gambadant…Comme un âne : « Mé mé mé ! »

-          Arrête de faire la chèvre hurla Alli. Ce n’est pas le moment. Reste tranquille.

C’est vrai ça, il faut de la concentration pour piéger Mamie et ses Amis-Mots.

-          Mais Mais Mais non, pas Mém mé …Je veux dire Hihan hihan

-          Quoi Hihan ?

-          Non pas Hihan.

-          Je n’y comprends rien hurla Alli. Que veux-tu dire avec tes Hihan hihan ?

-          Je veux dire : des ennemis… Y’ EN, Y’ EN  a beaucoup ! – Isidore eut à peine le temps de finir sa phrase que patatras firent irruption dans cet abri amical et il faut bien le dire
un tout petit peu espion aussi, une horde de mots fidèles à Mamie et ses amis, Chantons Chantez et Nom Commun en tête, qui encerclèrent sans ménagement, les ridicules soldats d’Alli,
ainsi que l’âne gris qui à présent criait de terreur : « j’voulais, j’voulais »

-          J’voulais quoi ?

-          J’vous l’ai bien dit ! Hihan, Hihan !

D’un grand coup de boule, comme il aime à en donner, Adji fit taire cet âne qui franchement, c’est bien le mot, nous faisait braire ! Apocalypse et Aplatir, cernés par apaiser apostropher,

acerbe et acide n’en menaient pas large, surtout que à de par pour sans, chien féroce s’il en est, leur prêtait main forte. Enfin, mâchoire forte !

Aucune bagarre, aucune lutte. Nickel. En quinze secondes, douze dixièmes, les rebelles furent ficelés, saucissonnés, incarcérés dans ce fameux abri qu’ils croyaient sûr. Mamie s’adressa à eux :

-          Je suis déçue les enfants, déçue. Que cet imbécile d’Alli ait réussi à vous faire croire que des mots pouvaient être plus importants que d’autres. Déçue.
Que l’on puisse mettre en esclavage des idées, exploiter quelqu’un parce qu’il a deux ou trois lettres de moins que vous. Qu’est-ce qui vous a pris ?
Ne savez-vous pas que la devise de notre pays est « Liberté, égalité, fraternité » ? Et que ces trois mots n’ont pas besoin d’un E supplémentaire à la fin pour exprimer toute leur puissance.
Ce n’est pas le nombre de lettres qui fait la force des mots, mais leur courage et leur passion ! Regardez le mot AMI. Avec trois lettres, il exprime d’avantage de sens que vous tous réunis.
Et puisque vous voulez faire disparaître dans notre beau volume du A tous les mots paisibles et pacifistes qui ne demandent rien à personne, à mon tour je vais mettre un peu d’ordre
en éliminant tous les renégats ! « Glups » firent-ils de peur, Alli et ses acolytes, car connaissant Mamie, ils se doutaient bien qu’elle n’était pas franchement de bonne humeur.
D’autant que Mamie fouillait à présent dans son sac, un vieux cabas qui ne la quittait jamais. Qu’allait-elle extraire de ce sac ? Mystère !

Mamie plongea la main bien au fond, agrippa un objet, esquissa un sourire « ça y est, je l’ai » et poursuivit son discours : L’heure est venue. Toi Alli, tu voulais le pouvoir.

Vous autres, vous vouliez double ration de consonnes, ou envahir les autres volumes : D’abord le B, ensuite le C, puis le D, etc. Vous connaissez l’alphabet ? Et bien il est temps d’effacer tous les doutes :
Le chef ici, c’est moi : Mamie Grammaire ! Et pour effacer tous les doutes, quoi de mieux –et en disant ces derniers mots de façon théâtrale, elle extirpa de son sac une grosse gomme rouge –
quoi de mieux qu’un effaceur de grosses fautes ?

-          Une gomme ?
-         
Une gomme !

-          Aïe Aïe Aïe ! Panique à bord ! Les conspirateurs, Alli lui-même, Isidore et sa grosse bosse sur le front, mais aussi tous les fidèles de Mamie frémirent de terreur.
En clair : chacun balisait. Quoi de pire qu’une gomme pour effacer des mots, les rayer de la planète, les faire disparaître à tout jamais et ça, quel que soit leur nombre de voyelles, consonnes, voyelles, consonnes, le compte est bon !

-          Pitié Mamie pleurnicha Apeurer, montrant là son vrai visage. Je ne le ferai plus !

-          Excuse-nous, Mamie, c’est une erreur, une triste méprise minaudèrent abject et acariâtre. Vous vous imaginez, des gars comme ça au pouvoir ? Non mais vraiment !

Un vent de panique saisit tout le monde lorsque Mamie approcha la gomme tout près du visage d’Alli. Et croyez-moi, il n’en menait pas large, le bougre. Il n’avait pas envie d’ouvrir sa gueule…
sa gueule de crocodile – Il n’avait pas envie de montrer toutes ses dents – ses dents de crocodile – Il avait plus envie de faire GLUPS et se sentait tout petit. Tiens, comme un lézard vert.
Mieux, un têtard au fond de la mare. Il sentait bien, cette pauvre bête, que bientôt le mot Alligator allait disparaître du vocabulaire ne laissant pour désigner un crocodile que le mot caïman ou sac à main.
Juste un coup de gomme et zac. Adios pepitos !

Idem pour tous ces bons à rien de verbes en AP avec un seul P de apercevoir, apeurer, aplatir ou apaiser. Bientôt ils auraient disparu du langage. C’est fréquent vous savez, de voir ainsi des mots
disparaître du dictionnaire… mais autant d’un coup, quel naufrage !

-          Jure moi siffla Mamie entre ses dents –enfin, entre les douze dents qui lui restent. Jure-moi, espèce de gros sac, que tu ne tenteras jamais plus de recommencer.
Sinon j’efface une à une les lettres de ton nom en commençant par la queue, histoire que tu sentes bien ta douleur d’avoir voulu me doubler. Jure, animal, et fort, que tout le monde t’entende !

-          Je jure de ne plus jamais chercher la petite bête à Mamie- cria Alli en pleurs tellement il avait peur et là, soyez- en sûrs, ce n’était pas des larmes de crocodile !

-          Et vous bande d’andouilles, faites de même, sinon je vous pulvérise, je vous atomise, je vous carbonise dans la stratosphère et plus jamais, je dis bien plus jamais, personne n’entendra parler de vous !-          Nous le jurons –firent transis tous ces rebelles de pacotille, tout heureux de ne pas subir la sentence finale, et un peu honteux, tout compte fait, de s’être laissé entraîner dans cette histoire

de rébellion à deux balles.

-          Je peux quand même leur mettre un coup de boule – rectifia Adji, que l’exercice, tout compte fait, avait mis en appétit... Avec deux P.

C’est comme cela que se termina cette guerre éclair. On n’entendit plus jamais parler d’Alli qui préféra partir se dorer au soleil et plonger de temps en temps dans le fleuve.
Les autres mots, eux, ayant bien retenu la leçon, retournèrent bien sagement dans le volume du A, les uns avec une simple consonne derrière le A, les autres avec deux, comme d’habitude.

Isidore, lui, une fois son mal de tête dissipé, redevint un gentil âne bâté, rendant souvent des services aux humains, broutant paisiblement dans les champs, ne s’occupant de rien,

excepté faire hihan quand même de temps en temps

Quant à ce fidèle Abri, il devint le refuge de tous ceux qui sont dans le besoin.

Voilà mes amis, la guerre dans le volume du A, laquelle n’est plus qu’un mauvais souvenir.

FIN

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